Gard : la passion des sagneurs des marais

Le travail de la sagne n’est plus effectué que par une poignée de passionnés en Camargue.

L’un a commencé à travailler dans les marais à l’âge de 15 ans, l’autre à 19 ans. Pour André Calba et Jean-Richard Matival, des dizaines d’années plus tard, un seul moteur les pousse à continuer là où tant d’autres ont abandonné : la passion. La passion de la sagne, la récolte du roseau de Camargue.

« Activité très lucrative »

Ces sagneurs, comme on les appelle ici, ne sont aujourd’hui plus qu’une poignée à continuer un art qui a compté, dans les années glorieuses, plus de deux cents personnes qui arpentaient les marais pour couper à coup de sagnadou la précieuse plante.

« À l’époque de mon père, c’était une activité très lucrative, on triplait la journée par rapport à ceux qui étaient dans les vignes, se souvient André Calba, installé à Aimargues. On était en plein boom des toitures en chaume, du coup, il y avait beaucoup de demande. »

Et dans la plus grande roselière d’Europe de l’Ouest, on s’est donc mis à récolter ce roseau, mais sans peut-être anticiper l’avenir…

« Un des plus beaux marais d’Europe »

« Depuis une trentaine d’années, affirme André Calba, il s’est passé un phénomène qui nous a échappé. On a un des plus beaux marais d’Europe mais on est incapable de s’entendre pour le gérer. La roselière est moribonde. Depuis les années 80, on a été envahi par les ragondins qui ont causé beaucoup de dégâts. À ça, se sont rajoutés les aléas climatiques et sans doute, de nos jours, la pollution de l’air et de l’eau. Cette année, pour la première fois, on a 50 % de récolte en moins. On est tous en train de se poser des questions. »

Des questions qui reviennent aussi dans la tête de Jean-Richard Matival. Cet Arlésien d’origine est tombé sous le charme du roseau il y a plus de 25 ans, au point d’en faire une affaire familiale qu’il mène sur Vauvert aux côtés de Claire, sa compagne. « On ne fait pas ce métier si on n’est pas passionné. C’est dur, fatiguant, on ne peut pas compter ses heures et on est aussi assujettis au temps qu’il fait. Pendant la période de récolte (de début janvier à fin mars, NDLR), s’il pleut, on peut rester plusieurs jours inactifs. Mais si la pluie s’arrête, que ce soit un dimanche ou un jour férié, il faut y aller ! »

Création de paillassons

Mais ce pétrole vert de la France, comme le surnomme André Calba, qui n’a besoin de rien d’autre que de l’eau pour s’épanouir, que devient-il finalement dans les mains de ces artisans ? Pour ces sagneurs, outre l’activité du chaume pour les toitures, le retour à la création de paillassons – très prisés autrefois pour la protection des cultures maraîchères et florales avant que le plastique ne prenne le dessus – s’est fait un peu par hasard.

Des cessations d’activité d’autres fabricants, la possibilité d’acquérir une machine qui pourrait quelque peu s’apparenter à un métier à tisser et voilà la culture du paillasson relancée. Mais attention, en Camargue, pas question de s’essuyer les pieds sur lui !

Le terme de paillasson est utilisé pour désigner des palissades ou des coupe-vent fabriqués avec des roseaux. Car ce simple bout de bois possède des qualités étonnantes : « De la façon dont on l’assemble, le roseau possède un fort pouvoir occultant. Il est aussi excellent pour se protéger du soleil et il résiste au froid, à la neige, à la pluie », analyse Jean-Richard Matival.

Démarche écologique

Pergola, parasol ou toute autre réalisation couvrante peuvent ainsi être envisagés dans une démarche totalement écologique. « Je suis même sûr qu’on pourrait fabriquer des maisons avec, rêve tout haut André. C’est un coup de poker, mais on sait déjà faire les toitures, il suffirait peut-être de compresser le courtillon (le bout de roseau trop court pour être employé, NDLR) pour faire les murs… » Jean-Richard, qui pense aussi que « le roseau a sa place dans l’habitat de demain », s’émerveille encore de cette plante jamais identique qui stimule son imagination et lui permet de créer des pièces originales et uniques.

Même après des années passées à s’user le corps dans les marais pour ramasser et travailler le roseau, André Calba et Jean-Richard Matival ne connaissent pas l’ennui. Reste quand même une interrogation qui les chiffonne : y aura-t-il des jeunes qui auront le courage et la volonté pour prendre leur relais ?